La guardia vieja

La police fédérale a décrété une ordonnance sur la morale,
par laquelle tout homme doit renoncer à dire à une femme des mots doux.
Si l’on voit une belle s’avancer, pas question de murmurer,
on ne pourra que se taire et la regarder, si on tient à sa liberté.
Moi quand je verrai une jolie femme, un petit clin d’œil je lui lancerai,
mais attention si elle m’aperçoit, aux cinquante balles je n’échapperai pas

Décret de 1889 réactualisé en 1906

Avant 1920

L’évolution du tango d’un point de vue musical est liée au contexte dans lequel il se développe. La vielle garde correspond à un tango de faubourg et de prostibulos.

La musique de tango, à ses débuts, est pratiquée par des ensembles musicaux les plus divers.

On sait qu’il y avait des tangos joués par des bandas militaires, par des ensembles de chœurs et d’instruments, par des rondallas issues de la vieille instrumentation espagnole : violons, guitares, mandolines ou encore par des ensembles de cordes pincées.

Ces orchestres ambulants transmettent cette musique nouvelle dans les rues comme le faisaient aussi les orgues de Barbarie.

On trouve aussi des trios formés de violon de flûte et de harpe, parfois d’harmonica ou de clarinette.

Les titres Union civica, Joaquina, El choclo et El portenito furent popularisés dans les rues.

Quelques trios jouant dans les maisons closes intègrent au violon et à la clarinette, le piano.

Certains trios deviennent comme ceux du violoniste Ernesto Ponzio, des bandonéonistes Vicente Greco, et Ernesto Arolas et le pianiste comme Roberto Firpo.

La harpe est abandonnée pour la guitare. Cette dernière reste l’instrument des bordels populaires et le piano se retrouve dans les lupanars ‘’chics’’.

Beaucoup de tangos de cette époque sont écrits pour le piano.

Mais la nouvelle formation qui va prédominer c’est le violon, la guitare et le bandonéon, la VOZ DEL TANGO.

Si la personnalité des compositeurs met en évidence des styles différents, la production de l’époque montre une certaine monotonie, une grande homogénéité Le rythme se démarque de plus en plus de la milonga. Il est toutefois rapide, allègre ( 2/4 ) au début du siècle pour devenir plus lent et grave (4/8) par la suite.

Le bandonéon

" Tu canto es el amor que no se dio
y el cielo que sonamos una vez
y el fraternal amigo que se hundio
cinchando en la tormenta de un querer.
Y esas ganas tremendas de ilorar
que a veces nos inundan sin razon
y el trago de licor, que obliga a recordar
si el alma esta en orsai, che bandoneon ! "

" Ton chant est l’amour qui n’est pas venu
Et le ciel dont nous avons tous rêvé
C’est l’ami éternel qui a sombré
En bravant la tourmente d’une passion.
C’est une envie terrible de pleurer
Qui nous vient parfois sans raison
C’est le verre d’alcool qui empêche d’oublier
Quand l’âme est hors jeu, che bandonéon ! "

" Toi, Bandonéon " de Homero Manzi. (1905-1951)

José Luis Betancor (photo Olivier)

Au XIX siècle quelqu’un débarqua à Buenos Aires, un bandonéon sous le bras : un marin, un immigré qui manquant d’argent, aurait vendu son bandonéon.

Cette boite à musique aurait été perfectionnée par Heinrich Band facteur d’instruments de musique. Elle aurait été inventée et présentée à l’exposition universelle de 1849 par un autre allemand Zimmermann.

Heinrich Band aurait commercialisé l’instrument sous le nom de bandonion.

En 1864 fut fondée à Hambourg la fameuse " Ernst Louis Arnold Bandonion und Konzertina Fabrik ".

Le bandonéon possède déjà 71 boutons de nacre offrant un registre de 142 voix.

C’est Alfred Arnold qui met au point vers 1910 la fabrication des meilleurs bandonéons les célèbres AA ceux qui sont encore les préférés des plus grands bandonéonistes.

Le plus ancien témoignage en Argentine de l’utilisation du bando remonte à 1865 : José de Santa Cruz aurait fait l’acquisition d’un bandonéon. Et son fils Domingo deviendra un des plus grands joueurs de bandonéon de son époque.

L’instrument entre tout de suite dans la légende tanguera.

On l’appelle le fueye (soufflet) la jaula (cage d’où cherche à s’évader la mélancolie) ou encore gusano (le ver qui se tortille sur les genoux du musicien).

Les premiers bandonéonistes portègnes ne réussissent pas à suivre le rythme rapide des tangos de l’époque; les autres musiciens des formations sont obligés de ralentir le tempo.

Le bandonéon " songeur " remplace le plus souvent la flûte et coïncide avec la mélancolie des immigrants.

Le tango devient plaintif et sentimental. La voix du bandonéon, comme éraillée, a quelque chose d’humain, sa sonorité varie selon qu’il inspire ou qu’il expire comme s’il était en mesure de reproduire la complexité tonale et harmonique de la parole humaine.

Les transformations amenées par l’emploi de cet instrument annoncent l’age d’or du tango (1915-1935).

Paris

Voyant pour la première fois un tango dansé
la comtesse Mélanie de Pourtalès se pencha vers son voisin
et lui murmura : " doit-on vraiment le danser debout ? "

Loin de Buenos Aires se produisit un événement socialement inattendu. En 1912-1913 le tango envahit brusquement les salles de bal de Paris et de Londres et fut adopté par la haute bourgeoisie européenne admirée et respectée par l'élite argentine.

En Argentine au début des années 1910, la danse et la musique se répandaient dans toute la ville. Elles s’étaient emparées des cafés et des dancings du centre lui-même.

Cependant la forteresse des préjugés bourgeois restait intacte bien que les rejetons de l’oligarchie portena dansaient non seulement dans les garçonnières mais aussi dans les clubs de nuit élégants comme l’Armenonville.

A Paris dés le début du siècle la valse et le quadrille s’essoufflent. Paris a besoin d’une danse nouvelle. On assiste en Europe à un engouement pour l’exotisme ; danses nègres, blues, danses orientales et indiennes. Le contexte socioculturel est prêt.

Quelques musiciens et danseurs débarquent dans la capitale et commence " l’épidémie ".

En 1909 est proposée la définition du tango : " sorte de danse américaine dont le mouvement est à 2/4 divisée en 2 parties l’une marchée et l’autre valsée ".

En 1910 Mistinguett danse le tango. Le tango s’infiltre partout. On le danse, on en parle, on fait des discours, on écrit des articles des livres, on essaie de comprendre cette " névrose " qui fait des ravages !

" Il n’y a rien d’inconvenant à danser le tango s’il est bien dansé " mais on reconnaît que le tango modifie les conventions. On ose se laisser enlacer par des partenaires que l’on ne connaît même pas.

Parfois, aussi, les femmes respectables dansent le tango avec leur coiffeur ou leur valet.

Certes le tango bouleverse les usages mais en même temps pour l’intégrer et le légitimer, les Européens vont l’aseptiser. Sa forme notamment pour la danse va se trouver altérée. La danse que nous aimons dit un académicien doit devenir " française ".

Le tango argentin caractérisé par la suspension et l’improvisation se voit déjà une danse écrite codifiée. On note les figures, les pas. Les pivots sont supprimés, certaines figures sont inspirées du boston d’autres du tango argentin. Des standards se mettent en place et pour permettre des compétitions (1920-1930) un nouveau tango " liso " fut fabriqué à partir de critères techniques très éloignés du " vrai " argentin qui suppose l’ondulation, la flexion, la suspension et l’improvisation, le tout avec une " structure bien marquée et intrépide ".

 


Annie et Jean-Marc

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